Portées par plusieurs vagues d’innovations techniques, les trois révolutions industrielles successives ont bouleversé à plusieurs reprises l’économie mondiale, et ce en moins de 150 ans. S’il est vrai que ces trois révolutions ont pu apporter des bénéfices indéniables, elles nous ont aussi conduit à une impasse : nous surexploitons notre planète. Incapables d’intégrer concrètement la notion de soutenabilité, guidés par le mirage d’une production exacerbée, nous avons depuis la fin du XVIIIe abusé des énergies fossiles et industrialisé massivement, aux dépens de la biosphère et de notre stabilité climatique. Cette année 2020, marquée par la crise sanitaire mondiale de la Covid-19, est un tournant majeur pour de nombreux Français : la rupture avec la nature et la mise en danger de notre biodiversité prennent une tournure déroutante.

Alors comment réconcilier humanité, économie et biodiversité ? Nous avons besoin d’innover autrement, il n’y aura plus de place pour les demi-mesures.

La nature comme source d’inspiration

Depuis 3,8 milliards d’années, la nature a mis en place un système capable de survivre et de s’adapter rapidement. Au fil de l’évolution, les millions d’espèces qui ont vécu sur notre planète ont développé une vaste panoplie de fonctions et de mécanismes ingénieux et performants pour répondre aux défis du quotidien. Ces techniques du vivant sont sophistiquées, élégantes, éprouvées.

Le biomimétisme est né de ce constat : c’est une approche d’innovation et de R&D qui consiste à s’inspirer de ce savoir-faire de la nature pour le transposer à l’ingénierie humaine et créer ou améliorer nos technologies. L’objectif est d’ouvrir le champ à des possibilités d’innovations conciliant performance et durabilité.

Les Etats-Unis et la Chine investissent massivement

Le biomimétisme connaît déjà un vrai essor scientifique dans les centres de recherche internationaux, notamment aux États-Unis, en Chine et en Allemagne. La France, en retard, n’est cependant pas en reste : le CNRS l’a récemment mentionné dans ses priorités stratégiques, et de nombreux laboratoires et expertises émergent en la matière. En revanche, là où les États-Unis et la Chine investissent massivement, l’Europe ne s’est pas encore véritablement emparée de ce levier stratégique de souveraineté industrielle.

Aéronautique, automobile, construction et urbanisme, textile, luxe et biens de consommation, pharmaceutique et santé, défense, énergie : la R&D inspirée de la nature a déjà fait ses preuves dans de nombreux secteurs et les exemples réussis sont légions.

Des résultats très prometteurs

Nous pourrions par exemple évoquer les équipements adhésifs inspirés des pattes du gecko pour l’industrie spatiale, des seringues indolores inspirées des trompes des moustiques, des algorithmes anti-collision pour véhicules autonomes ou pour drones, inspirés de la vision de la libellule, des revêtements aérodynamiques copiés sur le modèle des écailles du requin, de casques de football américain imaginés grâce aux épines du hérisson, ou encore de dispositifs de dépollution des sols inspirés des plantes. La réalité, c’est que le nombre de brevets déposés et de publications parues explose depuis le début des années 2010.

Dans le domaine agricole, la pratique se généralise : l’agroécologie, la permaculture ou encore la polyculture associée à l’élevage, reproduisent des pratiques initiées par la nature et participe à une agriculture durable.

La participation à l’économie circulaire est également permise par le biomimétisme. De fait, les acteurs intéressés n’imitent pas uniquement la nature pour résoudre des problèmes d’ingénierie ou pour innover, ils s’en inspirent aussi pour répondre à des enjeux systémiques. Le biomimétisme intègre notamment l’idée selon laquelle le déchet devient une ressource.

Ainsi certaines entreprises comme Bouygues, au travers de sa filiale Élan, explorent le biomimétisme en faveur du développement durable urbain. Le projet de Centre d’Excellence en Biomimétisme Marin proposé à la ville de Biarritz a été conçu en se concentrant sur les services écosystémiques et le bâtiment régénératif à impact positif. Le projet dépollue, réutilise, redonne afin de traiter 100% des eaux du site et s’intègre dans le grand cycle naturel de l’eau.

De la même façon, c’est en observant une bactérie mangeuse du plastique dans une déchetterie au Japon, que des chercheurs ont créé une enzyme encore plus efficace capable de détruire le plastique. On pourrait aussi citer l’exemple de ces chercheurs américains ayant conçu un polymère à base des cuticules et exosquelettes des crustacés, qui sont des déchets alimentaires, pour remplacer les plastiques pétro-sourcés. Pour répondre aux enjeux environnementaux de notre société, il est temps de tourner nos regards vers la nature pour en imiter les mécanismes et surtout pour en reproduire la parcimonie en matière de ressources.

Un enjeu de souveraineté européenne et nationale

Enfin, si l’Europe a joué un rôle majeur lors des deux premières révolutions industrielles, la troisième révolution a été portée par les États-Unis et l’Asie. Cette quatrième révolution pourrait être une formidable opportunité pour la France qui possède un patrimoine naturel exceptionnel, avec une biodiversité riche et essentielle pour les études nécessaires.

Notre pays a les moyens et les capacités intellectuelles de développer la pratique. Il s’agit d’une opportunité unique de développer des technologies émergentes avec des applications concrètes dans une multitude de domaines stratégiques, et pouvant garantir à la France une suprématie et souveraineté technologique, avec selon l’Insee, 50 000 emplois à la clé en 2030.

Parce qu’il est indispensable de lier l’économie avec la préservation du climat et de la biodiversité, le biomimétisme représente une réelle opportunité pour la France et l’Europe. Saisissons-là.

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